Les déserteurs algériens de l’armée française entre mythes et réalités

L’indépendance n’a pas permis à l’Algérie de sortir de la violence. Loin s’en faut. Le pouvoir n’a pas été rendu au peuple, mais a été accaparé par un groupe, initialement choisi par la France pour protéger ses intérêts. Pour se maintenir, ce groupe n’a pas hésité à manipuler des islamistes et à plonger le pays dans un nouveau cycle de violence.

Les crimes commis par le régime militaire qui gouverne l’Algérie ont été masqués sous le couvert de la lutte contre le terrorisme, crimes qui ont été blanchis ou ignorés dans la presse internationale par des agents d’influence. Au cœur de ce dispositif on distingue ceux qui sont ces marionnettistes Jacques Attali, Bernard-Henry Lévy, etc.

Lounis Aggoun  – Auteur du La colonie française en Algérie. 200 ans d’inavouable

Introduction

Les déserteurs de l’armée française, souvent désignés sous l’acronyme DAF, regroupaient des sous-officiers, en majorité descendants de notables, caïds et bachaghas ayant prêté allégeance à la France durant la colonisation de l’Algérie. Ces soldats provenaient de differentes structures militaires françaises, des écoles de formation de sous-officiers. Leur influence et leur rôle dans la guerre d’indépendance algérienne ont eu des répercussions majeures sur l’histoire politique et économique de l’Algérie post-coloniale.

Historique des désertions

Au moment où l’indépendance devenait inévitable, la France a élaboré une stratégie complexe pour maintenir son influence politique, économique et culturelle en Algérie. Elle a encouragé la formation d’une troisième force composée de collaborateurs civils et militaires fidèles à ses intérêts. De plus, elle a infiltré l’Armée de Libération Nationale (ALN) en intégrant des déserteurs de l’armée française, acquis à sa cause, dans les vagues de ralliements de 1958, 1959 et 1961. Ces individus avaient pour mission d’acquérir une légitimité révolutionnaire afin de contrôler, après l’indépendance, la future armée algérienne.

Parmi ces déserteurs, certains étaient de véritables patriotes ayant apporté une contribution significative à la lutte pour l’indépendance. Des figures comme Mahmoud Cherif, Abderrahmane Ben-Salem et Abdallah Belhouchet ont joué des rôles cruciaux, démontrant leur dévouement par leur sacrifice sur le terrain.

Cependant, une minorité de ces déserteurs, restés culturellement attachés à la France, cherchaient à infiltrer les plus hautes sphères pour imposer une politique de dépersonnalisation culturelle de l’Algérie. Ce groupe, animé par une ambition démesurée, visait à maintenir une influence durable sur la politique algérienne, souvent par des moyens clandestins et mafieux.

Ces sous-officiers ont déserté l’armée française entre 1956 et 1961, durant la guerre d’Algérie, rejoignant par vagues successives les bases de l’ALN situées en Tunisie et au Maroc. Environ 500 déserteurs auraient rejoint les rangs de l’ALN jusqu’en 1961, issus de divers corps de l’armée française. Ils ont rapidement été promus au sein de l’ALN, justifié par leur expertise militaire au service de la cause nationale.

Infiltration et manipulation par les services secrets français

À partir de 1960, sous l’impulsion de Roger Wybot de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), d’autres ralliements ont été préparés par les services secrets français. Ces déserteurs tardifs étaient souvent infiltrés pour maintenir l’influence française en Algérie post-indépendance. Wybot a joué un rôle capital en infiltrant l’ALN avec des agents qui obtenaient des promotions rapides, bénéficiant de soutiens secrets pour mener des opérations clandestines crédibles. Ces agents doubles atteignaient parfois les plus hauts échelons du FLN/ALN, influençant ainsi l’organisation de l’intérieur.

Cette stratégie d’infiltration a eu des conséquences profondes. Les agents doubles ont pu influencer les décisions stratégiques de l’ALN, saboter certaines opérations et recueillir des informations cruciales pour les services de renseignement français. La méfiance envers ces infiltrés a exacerbé les tensions internes au sein de l’ALN, créant des divisions et des suspicions qui ont perduré bien après l’indépendance.

Accueil et ascension dans l’Algérie indépendante

Ces nouveaux déserteurs, accueillis avec suspicion par les officiers de l’ALN, ont néanmoins réussi à gravir les échelons après l’indépendance de l’Algérie, prenant des postes importants dans l’armée. Les plus illustres représentants des DAF incluent des futurs généraux de l’Armée Nationale Populaire (ANP) comme Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, Mohamed Lamari et Mohammed Touati, qui se sont affirmés sous le règne de Chadli Bendjedid.

L’ascension de ces déserteurs dans l’Algérie indépendante a été facilitée par plusieurs facteurs. Leur formation militaire française leur donnait un avantage significatif en termes de compétence et de professionnalisme par rapport aux anciens maquisards, souvent moins formés. De plus, leur connaissance des stratégies et tactiques militaires modernes était inestimable dans la construction de la nouvelle armée nationale algérienne.

Toutefois, leur intégration n’a pas été sans difficultés. La méfiance et les rivalités entre les anciens maquisards et les déserteurs de dernière heure ont souvent mené à des conflits internes. Les anciens maquisards, formés à l’école nasséro-soviétique, se méfiaient de ces nouveaux venus, les accusant parfois d’agir en faveur des intérêts français. Cette méfiance s’est intensifiée après la visite de François Mitterrand en Algérie en 1981 et la coopération entre les deux pays, notamment dans le domaine du renseignement entre la DST et la sécurité militaire algérienne.

Conflits internes et influence persistante

L’effondrement de l’Égypte nassérienne et de l’Union soviétique a poussé ces maquisards à se tourner vers la France et le pluralisme algérien, alors que montait la menace islamiste à la fin des années 1980. Cette période a vu la montée en puissance des généraux et colonels issus du clan des DAF au sein de l’état-major de l’ANP. Les deux clans, celui des maquisards ou orientaux et celui des DAF, se disputaient les postes stratégiques, chaque président devant composer avec les deux pour maintenir un équilibre dans l’attribution des postes de commandement.

Les rivalités entre ces deux groupes ont eu des répercussions importantes sur la stabilité politique de l’Algérie. Les DAF, avec leur orientation pro-occidentale, se sont souvent retrouvés en opposition avec les maquisards, plus enclins à favoriser des alliances avec des pays du bloc de l’Est ou des nations arabes. Ces tensions ont également influencé les politiques internes, avec des luttes de pouvoir fréquentes et des purges régulières au sein de l’armée et des services de renseignement.

Impact sur la guerre civile algérienne des années 90

L’historien Mohammed Harbi a critiqué ces officiers, affirmant que parmi les quelque 500 déserteurs, certains étaient sincèrement déterminés à soutenir la cause de leur nouvelle patrie. Cependant, il a pareillement accusé les quelques dizaines qui ont accaparé le pouvoir en éliminant les vrais patriotes d’avoir déclenché la sale guerre en 1992 et de faire obstacle à la démocratie en Algérie. Ces officiers étaient cependant fermement attachés à la modernisation du pays, hostile au modèle islamiste.

La guerre civile algérienne des années 90, connue sous le nom de la décennie noire, a été marquée par des violences extrêmes entre le gouvernement algérien et divers groupes islamistes. Les généraux issus des rangs des DAF ont joué un rôle crucial dans la réponse militaire du gouvernement. Forts de leur expérience et de leur formation, ils ont opté pour une solution sécuritaire stricte. Bien que le problème de fond soit politique et nécessitât une approche politique, cette stratégie a souvent été critiquée pour sa brutalité et ses violations des droits de l’homme.

Le conflit peut également être vu sous un angle linguistique, opposant les francophones, ouverts à l’occidentalisation, les russophones désorientés par la chute de l’Union soviétique, et les arabophones, attirés par les thèses islamistes, mais ne pouvant faire carrière dans des institutions où le français restait la langue de travail. Cette fracture linguistique a exacerbé les tensions sociales et politiques, rendant encore plus complexe la dynamique de la guerre civile.

Impact sociopolitique et héritage des DAF

L’impact des DAF sur l’Algérie post-indépendance ne se limite pas à leur rôle militaire. Leur influence s’étend de plus à la sphère politique et sociale. En tant que membres de l’élite militaire, ils jouaient fréquemment un rôle clé dans les décisions politiques majeures, influençant la direction du pays à travers les différentes administrations.

La présence continue des DAF dans les structures de pouvoir a également eu des effets sur le développement économique et social de l’Algérie. Leur orientation pro-occidentale a biasié les politiques économiques visant à moderniser le pays, souvent en collaboration avec des entreprises et des gouvernements occidentaux. Cette orientation a également suscité des résistances, notamment de la part des groupes plus traditionalistes et islamistes, qui voyaient dans cette occidentalisation une menace à l’identité culturelle et religieuse de l’Algérie.

En termes de politique intérieure, les DAF ont continuellement été perçus comme une menace contre la stabilité, mais aussi comme des obstacles à la démocratisation. Leur réticence à permettre une transition démocratique complète a été l’un des facteurs déclencheurs de la guerre civile, alors que des partis politiques nationalistes cherchaient à premouvoir une bonne gournance face à un régime perçu comme autoritaire et corrompu.

Conclusion

Les déserteurs algériens de l’armée française ont joué un rôle crucial durant la lutte pour l’indépendance et la structure du pouvoir post-indépendance. Leur influence a perduré à travers une caste militariste qui a maintenu un contrôle serré sur le pays. Leur intervention dans le processus démocratique et leur rôle dans la répression de toute opposition ont été des facteurs clés menant à la guerre civile algérienne des années 90. La guerre a eu un impact durable sur la société et la politique algériennes, avec l’armée demeurant la seule force dominante dans la gouvernance du pays.

Leur héritage est complexe, mêlant controverse et suspicion avec des aspects plus sombres de répression et de conflit. Alors que l’Algérie continue de naviguer les défis politiques et sociaux du XXIe siècle, l’influence des DAF reste un élément incontournable pour comprendre l’évolution des événements du pays. Leurs actions ont façonné non seulement la structure militaire de l’Algérie, mais aussi sa trajectoire politique, économique et culturelle, laissant une empreinte indélébile sur l’histoire contemporaine du pays.

Khaled Boulaziz

Réferences

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