Les déserteurs de l’armée française étaient les protégés de Boumédienne tout au long de la révolution algérienne. Après l’indépendance, ils sont devenus ses protecteurs.
Cdt Azzedine – Officier de l’ALN
Introduction
Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, le pays a été dominé par une caste militariste issue des armées de frontières, consolidée par le putsch contre le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), soutenu par les déserteurs de l’armée française. Cette domination militaire trouve ses racines dans le mépris qu’avaient les dirigeants révolutionnaires pour le peuple qu’ils prétendaient représenter. La révolution, souvent qualifiée de « révolution du peuple », était en réalité dirigée par un groupe de militants. Après l’indépendance, l’élite sociale et politique du pays a dû composer avec cette mentalité militariste, influençant profondément la trajectoire de l’Algérie.
Les origines de la domination militaire
Le Putsch contre le GPRA
La révolution algérienne, bien qu’évoquée comme une insurrection populaire, était en réalité dirigée par une élite militante. Après l’indépendance, un conflit de pouvoir a éclaté entre le GPRA et les armées de frontières. Le GPRA, formé pendant la guerre d’indépendance, représentait l’autorité légitime. Cependant, les armées de frontières, instruites en grande partie par les déserteurs de l’armée française, ont joué un rôle crucial dans le coup d’État de 1962, orchestré par Houari Boumédiène. Ce putsch a renversé le GPRA et a établi la suprématie militaire dans la politique algérienne.
Le mépris des dirigeants révolutionnaires
Les dirigeants de la révolution algérienne avaient une certaine distance vis-à-vis du peuple. Bien que la révolution ait été menée au nom du peuple, elle n’était pas une véritable insurrection populaire. C’était plutôt une lutte dirigée par une élite militante qui utilisait le peuple pour atteindre ses objectifs. Ce mépris ou cette distance vis-à-vis du peuple a facilité la prise de pouvoir par la caste militariste. Les dirigeants révolutionnaires, ayant besoin de l’appareil militaire pour asseoir leur autorité et maintenir l’ordre, ont permis aux militaires de s’emparer du pouvoir.
La consolidation du pouvoir militaire
La Mainmise de Boumédiène
Après le coup d’État de 1962, Boumédiène a rapidement consolidé son pouvoir. En 1965, il a renversé Ahmed Ben Bella, le premier président de l’Algérie indépendante, et a instauré un régime autoritaire. Le Conseil de la Révolution, dominé par des militaires, a dirigé le pays jusqu’en 1978. Boumédiène a mis en place des structures étatiques et économiques qui ont renforcé la mainmise militaire sur tous les aspects de la vie nationale. L’armée contrôlait les secteurs clés de l’économie, notamment l’industrie pétrolière et gazière, principale source de revenus du pays.
L’économie et le secteur de la défense
Le contrôle militaire sur l’économie a permis à la caste militariste de s’enrichir et de renforcer sa position. Les militaires occupaient des postes clés dans les entreprises publiques, et le secteur de la défense recevait une part disproportionnée du budget national. Cette situation a perduré, créant une économie dépendante de l’État et une classe militaire riche et influente. Cette concentration du pouvoir économique entre les mains des militaires a marginalisé les civils et a empêché le développement d’une classe entrepreneuriale indépendante.
L’élite sociale et politique face à la mentalité militariste
La cooptation et la répression
Pour maintenir leur pouvoir, les dirigeants militaires ont dû composer avec l’élite sociale et politique du pays. Ce processus de cooptation impliquait souvent des compromis et des alliances avec les élites traditionnelles et les technocrates civils. Cependant, ceux qui résistaient à l’influence militaire étaient souvent réprimés. Les dissidents politiques, les journalistes et les intellectuels critiques du régime étaient régulièrement emprisonnés ou exilés, créant un climat de peur et de silence forcé.
L’impact sur la société civile
Cette domination militariste a eu des conséquences profondes sur la société civile algérienne. Les institutions démocratiques étaient faibles, et les droits civiques souvent bafoués. Le manque de participation populaire dans les processus de décision a conduit à un éloignement croissant entre le gouvernement et la population. La société civile était fragmentée, et les mouvements de contestation étaient durement réprimés, limitant ainsi la possibilité d’une opposition politique organisée.
Les tentatives de réformes et leurs limites
Les réformes de chadli bendjedid
Dans les années 1980, sous la présidence de Chadli Bendjedid, des tentatives de réformes économiques et politiques ont été entreprises pour libéraliser l’économie et ouvrir l’espace politique. Cependant, ces réformes étaient limitées et souvent contrecarrées par l’armée et les élites conservatrices qui craignaient de perdre leur pouvoir et leurs privilèges. Les réformes économiques ont conduit à des privatisations et à une libéralisation partielle, mais sans transformation structurelle significative de l’économie.
La décennie noire et ses conséquences
Les années 1990 ont été marquées par une violente guerre civile, connue sous le nom de la Décennie Noire, opposant le gouvernement militaire aux groupes islamistes. Cette période de violence a renforcé la domination militaire, justifiée par la nécessité de combattre le terrorisme. Les militaires ont réprimé les islamistes avec brutalité, et la société algérienne a subi des pertes humaines et matérielles considérables. La guerre civile a également permis à l’armée de consolider son pouvoir sous prétexte de maintenir la sécurité et l’ordre.
L’Ère de Bouteflika
La tentative de contrôle de la caste militariste
Abdelaziz Bouteflika, élu président en 1999, a réussi, avec une certaine dextérité, à contrôler cette caste militariste durant ses premiers mandats. Il a utilisé une combinaison de réformes, de cooptation et de manœuvres politiques pour affaiblir l’influence directe des militaires sur la politique. Bouteflika a notamment mis en place une série de réformes constitutionnelles et économiques visant à réduire l’emprise militaire. Cependant, malgré ses efforts, il n’a pas réussi à éliminer complètement cette caste du paysage politique du pays. La caste militariste, bien que moins visible, continuait à exercer une influence considérable en arrière-plan.
Les limites de la réforme
Bouteflika a également tenté de moderniser l’économie algérienne et d’attirer les investissements étrangers, tout en cherchant à maintenir la stabilité politique. Malgré certains succès initiaux, ces réformes ont souvent été limitées par des résistances internes au sein de l’appareil de l’État et par une corruption endémique. La dépendance persistante à l’égard des hydrocarbures et l’absence de diversification économique ont continué à freiner le développement du pays. En outre, la santé déclinante de Bouteflika à partir de 2013 a affaibli sa capacité à gouverner et à poursuivre ses réformes.
La situation actuelle et les défis à venir
L’Après-Bouteflika
La démission d’Abdelaziz Bouteflika en 2019, sous la pression du Hirak, un mouvement populaire de protestation, a ouvert une nouvelle ère d’incertitude politique en Algérie. Malgré la chute de Bouteflika, la caste militariste continue de jouer un rôle prépondérant dans la politique du pays. Les nouveaux dirigeants civils, comme le président Abdelmadjid Tebboune, sont souvent perçus comme des figures de compromis soutenues par l’armée. Les réformes promises pour répondre aux aspirations du Hirak tardent à se concrétiser, et la confiance entre les citoyens et les autorités reste faible.
Les défis économiques et sociaux
L’Algérie fait face à des défis économiques et sociaux majeurs. La dépendance à l’égard des hydrocarbures expose le pays aux fluctuations des prix du pétrole, et la diversification économique est lente. Le chômage, en particulier chez les jeunes, et les inégalités sociales exacerbent le mécontentement populaire. La caste militariste, bien que toujours puissante, doit naviguer ces défis pour maintenir la stabilité et éviter une nouvelle vague de protestations.
Conclusion
Depuis l’indépendance, la caste militariste issue des armées de frontières, soutenue par les déserteurs de l’armée française, a exercé une influence déterminante sur la politique algérienne. Cette domination trouve ses racines dans le mépris initial des dirigeants révolutionnaires pour le peuple, et a été consolidée par des décennies de contrôle militaire et de répression. Alors que l’Algérie continue de faire face à des défis internes et externes, la question demeure de savoir si la caste militariste pourra évoluer pour permettre une véritable démocratisation et une participation populaire accrue dans le processus politique.
L’histoire de l’Algérie post-indépendance est marquée par une lutte constante entre les aspirations démocratiques du peuple et la domination persistante de la caste militariste. Pour que l’Algérie puisse progresser vers un avenir plus démocratique et inclusif, il est crucial de surmonter les héritages de la militarisation et de favoriser une véritable participation populaire dans le processus politique.
Khaled Boulaziz