Algérie : Pouvoir militaire et illusions démocratiques

Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux.

Ferhat Abbas – Homme d’Etat Algerien – (1899 -1984)

Dès novembre 1954, le pouvoir algérien s’est structuré autour d’une alliance politico-militaire. La primauté du politique, affirmée lors du congrès de la Soummam en août 1956, a été remise en cause dès 1957.

Depuis cette période, et de manière incontestable depuis 1965, l’armée algérienne a maintenu son emprise sur le pouvoir. Elle a successivement soutenu Ahmed Ben Bella, Houari Boumédiène et Chadli Bendjedid. L’armée a interrompu un processus démocratique menaçant son contrôle, instaurant un Haut Comité d’État et un Conseil consultatif composés de personnes rejetées par le suffrage universel, masquant ainsi le pouvoir réel des colonels et généraux.

En 1992, les militaires ont exécuté un coup d’État préventif, craignant que le Front Islamique du Salut (FIS) ne menace leurs privilèges. En réalité, ce coup d’État visait à empêcher toute démocratisation échappant au contrôle militaire.

La guerre civile des années 1990 a montré l’incapacité des dirigeants à résoudre un problème politique par des moyens politiques. L’ère Bouteflika a ramené une paix civile sans toucher à l’essence du problème : la mainmise d’une caste sur l’Algérie. À sa mort, cette réalité est devenue évidente pour l’ensemble de la société.

L’État, dominé par une minorité nationale héritière de l’État colonial, ne peut accepter le verdict des urnes tant que sa position dominante n’est pas assurée et que ses privilèges illégaux ne sont pas protégés. En attendant, cet État, axé sur la défense de ses privilèges, apparaît comme un État de répression. La pacification n’est pas une solution durable ; l’idéologie sécuritaire d’une minorité « évoluée » face à des « hordes de gueux » a ses limites.

L’État de la minorité nationale, reprenant le discours colonial, déclare le peuple algérien immature pour la démocratie. Cependant, il évite d’instituer officiellement une ségrégation, bien que cette réalité existe de facto.

Les dirigeants, ayant perdu les élections et méprisant le peuple, se proclament « modernistes » ou « patriotes », comme si ces notions étaient incompatibles avec la démocratie. L’arrêt du processus démocratique n’a pas éliminé les dynamiques renforçant le FIS.

Peut-on éviter une expérience islamique ? Les militaires, divisés sur cette question, pourraient finir par gouverner avec les islamistes, les premiers conservant le pouvoir réel et les islamistes gérant la société civile, à l’instar du modèle pakistanais.

Un tel scénario servirait les intérêts de l’État de la minorité nationale, sauf pour une élite prétendument moderniste. Cette dernière pourrait suivre le chemin des pieds-noirs, devenant les nouveaux « pieds-blancs ».

Dans le discours islamique, il est proclamé que « Dieu appauvrit qui Il veut et enrichit qui Il veut ». Ce postulat théologique, s’il se maintient comme le fondement inébranlable de l’ordre social, appelle à une reconsidération de la justice distributive dans le cadre de la lutte des classes. Or, l’Islam contemporain semble favoriser une éthique de la charité individuelle au détriment d’une régulation impérative par l’impôt, réorientant ainsi le pivot de la justice sociale. Cette promesse eschatologique de réconfort dans l’au-delà se constitue alors en une forteresse idéologique protégeant les privilèges établis. Par ailleurs, la culture arabo-musulmane, dans son hégémonie croissante, manifeste une intolérance accrue à l’égard de toute altérité culturelle, consolidant ainsi son emprise discursive et symbolique.

Soixante ans après l’indépendance, les Algériens ne se sont pas accordés sur les modalités d’accès et de renouvellement du pouvoir. La pseudo-démocratie, masque de la dictature militaire, a plongé l’Algérie dans une crise profonde.

Depuis octobre 1988, l’Algérie traverse une période de turbulences dangereuse. Quel que soit le dirigeant, il sera difficile d’éviter la catastrophe sans un miracle. Un dirigeant ayant la confiance du peuple a plus de chances de stabiliser la situation. L’Algérie ne pourra s’en sortir que si la question de la légitimité est réglée. Dans les villages, les responsables doivent avoir la confiance des villageois et se retirer dès qu’elle disparaît. Le Pouvoir doit s’en inspirer. Continuer ainsi est la pire des solutions.

Khaled Boulaziz