Algérie: les violences de ses élites à l’encontre du peuple

Il est fort probable que la violence durera aussi longtemps que l’homme ; elle est de tous les temps, encore qu’elle se montre plus virulente à certaines époques qu’à d’autres, quand l’idéologie lui prépare le terrain. De ce point de vue il est indiscutable que le socialisme révolutionnaire (Blanqui, Marx, Sorel, Lénine) a été, avant le fascisme, le propagateur de la violence dans le monde contemporain. Il est naïf de croire que le progrès de la civilisation pourrait substituer l’ère de la sérénité à celle de la violence. Au contraire, les nouveaux moyens que le progrès met à la disposition de l’homme, celui-ci les utilise non seulement au service de la guerre (nous le constatons tous les jours), mais de toutes les formes de la violence, révolutionnaire, psychologique, etc. Loin de décroître en intensité elle s’adapte sans cesse aux nouvelles conditions. Pour les mêmes raisons on ne saurait parler de peuples doux. Il se trouve seulement qu’à certaines époques de l’histoire la civilisation d’une collectivité parvient à limiter l’usage de la violence.

Julien FREUND – Intellectuel Francais – (1921-1993)

Introduction

Dans l’histoire de l’Algérie, la relation entre les élites et le peuple a souvent été marquée par des tensions profondes, des luttes intestines et des actes de violence flagrants. Ce phénomène trouve ses racines dans des dynamiques socio-politiques complexes. Cet article se propose d’explorer les raisons pour lesquelles ces élites, engendrées par la société qu’elles devaient servir, se retournent contre elle et la violentent de manière si brutale.

Genèse des élites algériennes

Une histoire coloniale douloureuse

L’Algérie, colonisée par la France en 1830, a subi pendant plus de 130 ans une domination étrangère qui a profondément marqué sa structure sociale. Les élites indigènes, souvent marginalisées ou cooptées par le pouvoir colonial, ont été façonnées par cette période de répression et de lutte pour la survie. La guerre de libération nationale (1954-1962) a vu émerger une nouvelle génération d’élites, issues principalement du Front de Libération Nationale (FLN), qui ont pris les rênes du pouvoir à l’indépendance.

La formation d’une élite post-coloniale

À l’indépendance, une élite politique et militaire s’est installée au pouvoir, promettant la reconstruction et le développement du pays. Cependant, très vite, ces nouvelles élites ont montré une tendance à concentrer le pouvoir entre leurs mains, souvent au détriment du peuple. La centralisation excessive du pouvoir et la corruption ont caractérisé cette période, jetant les bases des tensions futures.

Les causes de la violence des élites

La soif de pouvoir et la corruption

L’une des principales raisons de la violence exercée par les élites sur le peuple est leur insatiable soif de pouvoir. Après des décennies de lutte contre l’oppression coloniale, les nouveaux dirigeants algériens ont développé une méfiance aiguë envers toute forme d’opposition, percevant celle-ci comme une menace directe à leur autorité. Cette dynamique a conduit à une répression sévère des mouvements dissidents et à une militarisation de l’appareil d’État.

La corruption endémique a également joué un rôle crucial. Les élites, avides de richesses personnelles, ont souvent détourné les ressources publiques, créant ainsi un fossé énorme entre elles et le peuple. Cette captation des richesses a entraîné une frustration croissante parmi les citoyens, souvent réprimée violemment par le pouvoir en place.

La peur de perdre le contrôle

La peur de perdre le contrôle est une autre motivation clé de la violence des élites. Les régimes autoritaires qui se sont succédé en Algérie ont régulièrement utilisé la force pour maintenir leur emprise sur le pouvoir. Cette peur est exacerbée par la présence de mouvements islamistes, particulièrement après les années 1990, où l’annulation des élections législatives remportées par le Front Islamique du Salut (FIS) a plongé le pays dans une décennie noire de guerre civile.

Les manifestations de la violence élitaire

La répression politique

Depuis l’indépendance, l’Algérie a connu de nombreux épisodes de répression politique. Dès les premières années de la République, les opposants au régime du FLN ont été systématiquement marginalisés, emprisonnés, ou exilés. Les années 1980 et 1990 ont vu une intensification de cette répression, avec l’émergence de mouvements islamistes et la montée des revendications démocratiques. La guerre civile des années 1990, particulièrement sanglante, a été marquée par des massacres, des disparitions forcées et des tortures, souvent perpétrés par les forces de sécurité et les milices liées au gouvernement.

L’autoritarisme et la militarisation

L’Algérie a longtemps été dominée par une élite militaire qui a joué un rôle déterminant dans la politique nationale. L’armée, perçue comme le gardien de la souveraineté nationale, a souvent pris des décisions cruciales en matière de gouvernance, parfois au détriment des institutions civiles. Cette militarisation du pouvoir a engendré une culture de l’autoritarisme où le dialogue politique est relégué au second plan, et où la force brute est souvent privilégiée pour résoudre les conflits internes.

Les violences économiques et sociales

Les violences exercées par les élites algériennes ne sont pas uniquement de nature physique ou politique ; elles sont également économiques et sociales. La mauvaise gestion des ressources nationales, notamment les revenus pétroliers, a conduit à une pauvreté persistante et à des inégalités criantes. Les politiques économiques souvent négligentes ou prédatrices ont exacerbé le chômage et la précarité, poussant de nombreux jeunes à l’émigration clandestine, au désespoir ou à la radicalisation.

Conséquences sur le peuple

Un climat de peur et de méfiance

La violence exercée par les élites a installé un climat de peur et de méfiance généralisé parmi le peuple algérien. Cette atmosphère de suspicion a affaibli les liens sociaux et la confiance dans les institutions, rendant difficile tout effort de mobilisation collective pour le changement. Les citoyens, souvent désabusés, ont adopté une attitude de résignation face à un système perçu comme inébranlable.

L’aliénation et la radicalisation

L’oppression prolongée a également conduit à l’aliénation d’une partie significative de la population. Les jeunes, en particulier, se sentent souvent déconnectés du système politique et économique, voyant peu d’opportunités pour un avenir meilleur. Cette marginalisation a favorisé la radicalisation de certains segments de la société, exacerbant encore les tensions internes et les risques de violence.

Perspectives d’avenir

La nécessité de réformes structurelles

Pour rompre ce cycle de violence et de répression, il est impératif que l’Algérie engage des réformes structurelles profondes. Ces réformes doivent viser à démocratiser le système politique, à renforcer les institutions civiles, et à garantir une répartition équitable des ressources nationales. La lutte contre la corruption et la transparence dans la gestion publique doivent être des priorités.

Le rôle de la société civile

La société civile algérienne, malgré les nombreux obstacles, joue un rôle crucial dans la promotion des droits humains et de la justice sociale. Les mouvements citoyens, comme le Hirak, qui ont émergé en 2019, montrent que le peuple algérien aspire à un changement profond et durable. Ces mouvements, en dépit de la répression, continuent de réclamer pacifiquement des réformes et la fin de l’autoritarisme.

L’éducation et la conscience collective

L’éducation est un levier fondamental pour élever la conscience collective et encourager la participation citoyenne. Un peuple éduqué et informé est moins susceptible d’être manipulé par des élites corrompues et plus capable de défendre ses droits. Investir dans l’éducation et la formation des jeunes est donc essentiel pour construire une société plus juste et plus démocratique.

Conclusion

Le cas de l’Algérie illustre de manière poignante les dangers de la concentration du pouvoir entre les mains d’élites qui, au lieu de servir le peuple, finissent par le réprimer violemment. La violence des élites algériennes sur leur propre peuple est le résultat de dynamiques historiques, politiques et économiques complexes. Pour espérer un avenir meilleur, l’Algérie doit impérativement entreprendre des réformes profondes, renforcer la société civile et investir dans l’éducation. Ce n’est qu’en rétablissant un véritable contrat social basé sur la justice, la transparence et la participation citoyenne que le pays pourra se libérer de ce cycle infernal de violence et de répression. Une telle transformation est essentielle pour l’émancipation de tous et la fin de l’oppression de quelques-uns.

Khaled Boulaziz