Où sont les promesses faites dans les murmures du soir ?
Où sont les héros nés pour nous défendre dans l’espoir ?
Des traîtres en leur sein, des tyrans masqués,
Ont transformé notre liberté en chaînes de fer glacé.
L’Algérie contemporaine est marquée par une contradiction profonde : née d’une révolution contre l’oppression coloniale, elle a vu son destin confisqué par une élite militaire et politique qui a, à son tour, imposé un régime de violence et de répression. Depuis l’indépendance en 1962, les détenteurs du pouvoir, qu’ils soient issus du Front de Libération Nationale (FLN), de l’Armée Nationale Populaire (ANP) ou des services de renseignement, ont érigé un système où la coercition remplace le dialogue, où la survie politique prime sur l’intérêt du peuple. De la guerre de libération à la guerre civile des années 1990, ces élites meurtrières ont façonné l’Algérie dans le sang, le silence et la peur.
1954-1962 : La Révolution et l’émergence d’une caste militaire
La guerre d’Algérie (1954-1962), menée par le FLN et son bras armé, l’Armée de Libération Nationale (ALN), fut un combat impitoyable contre la domination coloniale française. Si cette lutte permit l’accession à l’indépendance, elle fut aussi le creuset de violences internes qui façonnèrent l’élite post-indépendance. Dès les premières années du conflit, les rivalités entre factions du FLN entraînèrent des purges sanglantes. Abane Ramdane, fervent défenseur de la primauté du pouvoir civil sur l’ALN, fut assassiné en 1957 par ses propres camarades dans les montagnes marocaines.
À la fin de la guerre, l’Algérie ne sortit pas seulement victorieuse face à la France, elle était aussi profondément fracturée par des luttes intestines pour le pouvoir. L’ALN de l’extérieur, commandée par Houari Boumédiène, imposa sa suprématie au détriment des combattants de l’intérieur, écartant brutalement les voix discordantes.
1962-1978 : Boumédiène et l’instauration d’un État policier
Après un bref règne d’Ahmed Ben Bella (1962-1965), Houari Boumédiène, chef de l’ANP, s’empara du pouvoir par un coup d’État en 1965. Son régime, structuré autour du parti unique (FLN) et d’un appareil militaire omniprésent, s’appuya sur la répression pour neutraliser toute opposition.
Les années 1970 furent marquées par une politique de nationalisation et d’industrialisation, mais aussi par une surveillance de masse exercée par la Sécurité militaire (SM), ancêtre du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS). Les opposants politiques, les militants berbéristes et les islamistes furent arrêtés, emprisonnés ou assassinés. Hocine Aït Ahmed, un des chefs historiques du FLN, fut emprisonné en 1964 pour avoir dénoncé la dérive autoritaire du régime.
1979-1991 : L’ouverture avortée et la montée de la contestation
Après la mort de Boumédiène en 1978, Chadli Bendjedid prit les rênes du pouvoir et amorça une timide libéralisation. Mais les tensions sociales et économiques explosèrent en octobre 1988, lorsque des émeutes éclatèrent à Alger et dans plusieurs villes du pays. La répression fut brutale : l’armée tua près de 500 manifestants, marquant l’une des pires répressions de l’histoire post-indépendance.
Sous la pression populaire, une nouvelle constitution en 1989 permit le multipartisme et la fin du FLN comme parti unique. Mais cette ouverture démocratique ouvrit également la porte au Front Islamique du Salut (FIS), qui, lors des élections municipales de 1990 et des législatives de 1991, remporta une victoire écrasante.
1992-2002 : La décennie noire et la guerre contre la population
La victoire du FIS affola l’élite militaire, qui annula les élections en janvier 1992 et imposa un état d’urgence. Ce coup de force provoqua une insurrection islamiste qui plongea le pays dans une guerre civile d’une atrocité sans précédent.
L’État mit en place une répression systématique : arrestations arbitraires, torture, disparitions forcées. En parallèle, les groupes armés islamistes, notamment le Groupe Islamique Armé (GIA), multiplièrent les attentats et les massacres de civils, comme ceux de Bentalha et Raïs en 1997.
Les forces de sécurité mirent en place des « escadrons de la mort » accusés d’assassinats ciblés contre des opposants politiques et de faux terroristes. Des milliers de jeunes hommes disparurent après leur arrestation par l’armée et les services secrets, une plaie toujours ouverte aujourd’hui.
2002-2019 : L’ère Bouteflika et la perpétuation du système
En 1999, Abdelaziz Bouteflika arriva au pouvoir sous l’égide des généraux. Il lança une politique de « réconciliation nationale », qui permit à des milliers d’anciens terroristes de réintégrer la société mais empêcha toute enquête sur les crimes de l’État et des groupes armés.
Pendant deux décennies, Bouteflika gouverna dans l’ombre des élites militaires et économiques, s’appuyant sur la rente pétrolière pour acheter la paix sociale. Mais la corruption gangrena le régime : l’affaire Sonatrach, impliquant des détournements de milliards de dollars, révéla l’ampleur du pillage des ressources nationales.
2019-présent : Le Hirak et la lutte pour une Algérie libérée des élites meurtrières
En 2019, la tentative de Bouteflika de briguer un cinquième mandat provoqua un soulèvement populaire massif : le Hirak. Pendant plus d’un an, des millions d’Algériens manifestèrent pacifiquement pour réclamer un changement de régime.
Face à la pression de la rue, l’armée, dirigée par Ahmed Gaïd Salah, força la démission de Bouteflika mais conserva les rênes du pouvoir en organisant des élections controversées qui portèrent Abdelmadjid Tebboune à la présidence.
Malgré les promesses de réformes, la répression s’intensifia : arrestations d’opposants, censure des médias, militarisation du pouvoir. Le Hirak fut brutalement étouffé sous prétexte de la pandémie de Covid-19, prouvant que le régime n’avait aucune intention d’abandonner son emprise sur le pays.
Conclusion : Une nation otage de son histoire
L’histoire de l’Algérie post-indépendance est celle d’un peuple pris en otage par ses propres libérateurs. Ces élites meurtrières, qui se sont légitimées par la révolution, ont bâti un système où la répression remplace la justice, où la corruption supplante l’intérêt général, où la mémoire des victimes est effacée au nom de la « stabilité ».
Aujourd’hui, la jeunesse algérienne aspire à briser ce cycle infernal. Mais tant que les vérités historiques resteront enterrées, tant que les responsables des crimes d’État jouiront d’une impunité totale, tant que la gouvernance restera l’apanage d’une caste militaire et oligarchique, l’Algérie restera prisonnière de son passé.
Le choix est désormais entre deux chemins : poursuivre la servitude sous un régime déliquescent ou exiger enfin une véritable justice historique et politique..
Khaled Boulaziz