Algérie : L’impossible ascension de la classe moyenne

Il n’y a pas d’exercice du pouvoir sans une certaine économie des discours de vérité fonctionnant dans, à partir de et à travers ce pouvoir. La théorie de la souveraineté est liée à une forme de pouvoir qui s’exerce sur la terre et les produits de la terre, beaucoup plus que sur les corps et sur ce qu’ils font.

Michel Foucault – Philosophe Français – (1926 – 1984)

Introduction

Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, le pays est dominé par une caste militariste qui a maintenu son emprise sur le pouvoir à travers diverses stratégies de contrôle et de répression. Cette domination militaire s’oppose souvent à l’émergence d’une classe moyenne capable de jouer un rôle crucial dans la démocratisation du pays. Cet article explore comment cette formation sociale représente un danger mortel pour la caste militariste en Algérie, en se basant sur des dynamiques économiques, sociétales et politiques.

1. La classe moyenne et la lutte des classes

1.1 Conflit de pouvoir

La caste militariste en Algérie, depuis les premières années de l’indépendance, a consolidé son pouvoir en s’assurant le contrôle des ressources économiques et de l’appareil d’État. Ce raffermissement s’est fait à travers un réseau complexe de clientélisme et de loyautés personnelles. Cependant, une classe moyenne émergente, composée de professionnels, d’intellectuels, de commerçants et de petits entrepreneurs, aspire à une plus grande démocratie et à une répartition équitable des ressources.

Cette formation sociale, par sa nature, cherche à s’affranchir de l’autorité militaire pour établir un système basé sur la compétence et la loi. Ce désir de changement crée un conflit direct avec le pouvoir militariste, car une classe moyenne forte et autonome est perçue comme une menace à l’ordre établi. Elle remet en question l’hégémonie des militaires, créant ainsi une instabilité qui pourrait mener à un changement profond de la structure du pouvoir.

1.2 Lutte pour les ressources

La lutte pour les ressources économiques est au cœur de ce conflit. La caste militariste a historiquement monopolisé les richesses du pays, notamment les revenus pétroliers, pour asseoir son pouvoir. La classe moyenne, en grandissant, exige une distribution plus équitable de ces ressources. Cette demande n’est pas simplement économique, mais également politique, car elle implique un accès et un contrôle plus démocratiques aux richesses nationales.

En revendiquant une meilleure répartition des ressources, la classe moyenne confronte directement la caste militariste. Cette opposition peut se manifester par des mouvements sociaux, des grèves et des manifestations qui visent à perturber l’ordre établi et à obtenir des réformes économiques et politiques. Elle devient ainsi un acteur clé dans la lutte pour une Algérie plus démocratique et équitable.

2. Pouvoir et contrôle

2.1 Les mécanismes de pouvoir

Pour comprendre la dynamique du pouvoir en Algérie, il est essentiel d’examiner les mécanismes par lesquels le pouvoir actuel en place maintient son emprise. Ces mécanismes incluent la répression, la surveillance et la propagande. Les forces militaires et de sécurité sont utilisées pour réprimer toute forme de dissidence, y compris les manifestations pacifiques et les mouvements de la société civile. La surveillance omniprésente permet de contrôler les opposants potentiels et d’anticiper toute tentative de soulèvement.

La propagande joue également un rôle crucial en façonnant l’opinion publique et en justifiant le maintien de l’ordre militaire. Les médias d’État et les campagnes de communication présentent les militaires comme les protecteurs de la nation, légitimant ainsi leur domination. Ces mécanismes de pouvoir sont conçus pour étouffer toute contestation et pour maintenir la stabilité du régime en place.

2.2 La classe moyenne comme contre-pouvoir

Malgré ces apparats de contrôle, la classe moyenne, par son accès à l’éducation et à l’information, développe des discours et des pratiques alternatives qui remettent en cause le monopole du militaire. L’émergence des réseaux sociaux et des médias indépendants en ligne permet aux membres de cette formation sociale de s’organiser et de diffuser des idées démocratiques. Elle peut ainsi créer des contre-analyses qui exposent les abus de pouvoir et les inégalités économiques.

La classe moyenne peut pareillement s’appuyer sur des mouvements sociaux pour contester l’autorité militaire. Les manifestations, les grèves et les campagnes de sensibilisation sont des moyens efficaces pour attirer l’attention sur les injustices et pour mobiliser la population autour de causes communes. Ces actions collectives constituent un contre-pouvoir capable de défier l’emprise militaire et de promouvoir des réformes démocratiques.

3. Légitimité et autorité

3.1 Types de domination

La domination militaire en Algérie repose principalement sur une légitimité historique, issue de la lutte pour l’indépendance. Les anciens combattants et les dirigeants militaires se présentent comme les garants de la souveraineté nationale et de la stabilité du pays. Cette légitimité traditionnelle est renforcée par des réseaux de loyauté personnelle et de clientélisme, où les alliances et les soutiens sont souvent basés sur des relations familiales ou tribales.

Cette forme de domination est cependant vulnérable face aux aspirations démocratiques de la classe moyenne. La légitimité historique s’affaiblit avec le temps, surtout lorsque les jeunes générations, qui n’ont pas connu la guerre d’indépendance, réclament des droits et des opportunités égales. La classe moyenne, en promouvant une gouvernance basée sur la compétence et la loi, propose un modèle alternatif de légitimité.

3.2 Rationalité et bureaucratie

La classe moyenne aspire à un système de gouvernance basé sur la rationalité et la bureaucratie, où la compétence et l’efficacité sont les critères principaux pour l’accès aux positions de pouvoir. Ce modèle s’oppose directement à la domination traditionnelle des militaires, qui repose sur le clientélisme et la loyauté personnelle. En promouvant des principes de transparence, de responsabilité et de mérite, cette classe cherche à instaurer un État de droit où les institutions sont au service des citoyens.

Ce modèle de gouvernance rationnelle et bureaucratique est essentiel pour le développement économique et social du pays. Il permettrait de réduire la corruption, d’améliorer la gestion des ressources publiques et de favoriser l’investissement et l’innovation. La classe moyenne, en plaidant pour ces réformes, pose une menace existentielle à la domination militaire, qui dépend du maintien des structures traditionnelles de pouvoir.

Conclusion

La classe moyenne représente une menace mortelle pour la caste militariste en Algérie en raison de sa capacité à contester l’ordre établi à travers des mécanismes économiques, sociaux et politiques. Elle aspire à une distribution plus équitable des ressources, à une gouvernance basée sur la compétence et la loi, et à des réformes démocratiques qui mettent fin à la domination militaire. Cependant, la répression et les tactiques de contrôle des militaires continuent de poser des obstacles majeurs à cette transformation.

Pour que la démocratie s’épanouisse en Algérie, il est essentiel que ses représentants puissent s’affirmer et jouer un rôle plus actif dans la vie politique et sociale du pays. Cela nécessite une mobilisation continue, une résistance aux mécanismes de répression et une solidarité entre les différentes composantes de la société civile. La classe moyenne, en tant que moteur du changement, a le potentiel de transformer l’Algérie en un pays plus juste, démocratique et prospère.

Khaled Boulaziz