Alger : Peur sur la ville – Une capitale sous état de siège

Le 4 février, Alger a connu un déploiement sécuritaire d’une ampleur inhabituelle. Sous prétexte d’un exercice de simulation, les forces de l’ordre ont envahi la capitale, suscitant un climat de crainte et de suspicion parmi la population. Cette démonstration de force, loin d’être un simple entraînement, s’inscrit dans une longue tradition de répression exercée par la caste militaro-policière qui contrôle le pays depuis l’indépendance. Ce nouvel épisode témoigne non seulement de l’angoisse du pouvoir face à un peuple toujours en quête de liberté, mais aussi d’une volonté manifeste de renforcer la terreur et la soumission à travers l’occupation de l’espace public. Pour comprendre cette stratégie, il convient d’analyser l’évolution historique de l’appareil sécuritaire algérien et son impact sur la société.

Un héritage de contrôle et de répression

L’Algérie a été façonnée par une histoire marquée par la domination militaire. Depuis la guerre de libération (1954-1962), l’armée s’est imposée comme la colonne vertébrale du pouvoir. En 1962, après la victoire contre la France, les militaires du FLN (Front de libération nationale) ont rapidement écarté les figures civiles du mouvement indépendantiste pour instaurer un régime autoritaire dirigé par Ahmed Ben Bella, puis par Houari Boumédiène après un coup d’État en 1965.

Sous Boumédiène, l’Algérie adopte un modèle de gouvernance basé sur le parti unique et la centralisation du pouvoir entre les mains de l’armée et des services de renseignement. La Sécurité militaire (ancêtre du Département du renseignement et de la sécurité, DRS) devient un instrument de répression redoutable, traquant les opposants politiques et instaurant un climat de peur permanente. Cette structure a permis au régime de museler toute contestation et d’assurer sa pérennité en écrasant les revendications démocratiques.

Dans les années 1980, alors que d’autres pays du monde arabe amorçaient des réformes politiques, l’Algérie restait sous le joug d’un pouvoir autoritaire. L’explosion sociale d’octobre 1988, marquée par des manifestations violemment réprimées, a révélé l’ampleur du mécontentement populaire. Ces événements ont conduit à une brève ouverture politique, mais la transition démocratique a été brutalement interrompue en 1992, lorsque l’armée a annulé les élections législatives remportées par le Front islamique du salut (FIS). Ce coup d’État a plongé le pays dans une décennie noire (1991-2002), où la répression militaire s’est accompagnée d’une guerre civile sanglante.

L’après-guerre civile : la militarisation permanente

La fin officielle de la guerre civile au début des années 2000 n’a pas marqué la fin de la domination militaire sur la politique algérienne. Sous Abdelaziz Bouteflika, qui a dirigé le pays de 1999 à 2019, le pouvoir a cherché à donner l’illusion d’une normalisation tout en consolidant le rôle central des forces de sécurité. Le DRS et l’armée ont continué à surveiller et à contrôler la vie politique, utilisant la menace du terrorisme comme justification pour maintenir un état d’urgence de facto.

Les manifestations du Hirak en 2019, déclenchées par la volonté du régime de faire briguer un cinquième mandat à Bouteflika, ont révélé l’étendue du rejet populaire envers la caste au pouvoir. Malgré la chute de Bouteflika, l’armée a rapidement repris le contrôle de la situation en plaçant Abdelmadjid Tebboune à la présidence, consolidant ainsi la mainmise du haut commandement militaire sur le pays. Depuis, les manifestations ont été systématiquement réprimées, et les arrestations arbitraires se sont multipliées, prouvant que le régime considère la rue comme une menace existentielle.

Un exercice de simulation ou une démonstration de force ?

Le déploiement sécuritaire du 4 février 2025 doit être lu dans ce contexte de répression continue. Présenté officiellement comme un simple exercice de simulation visant à tester la capacité de réaction des forces de l’ordre, cet événement s’apparente davantage à une opération de dissuasion visant à intimider la population.

Dès l’aube, Alger a été quadrillée par un impressionnant dispositif policier. Des barrages ont été installés aux principales entrées de la capitale, des unités d’intervention lourdement armées ont été positionnées aux points névralgiques, et un hélicoptère a survolé la ville pendant plusieurs heures. Ce déploiement, d’une ampleur rarement observée en dehors des périodes de grandes manifestations, a immédiatement suscité des interrogations. Pour de nombreux Algérois, ce simulacre n’était qu’un message clair : le pouvoir est prêt à utiliser tous les moyens nécessaires pour mater toute tentative de contestation.

Par ailleurs, les grèves successives des élèves et des médecins ces dernières semaines ont exacerbé le climat social. Le mécontentement gagne du terrain et pourrait aboutir à une nouvelle explosion populaire. Le 16 février, date anniversaire du Hirak, pourrait marquer le début d’un Hirak 2.0. L’épuisement des services publics, la détérioration du système de santé et l’incapacité du gouvernement à répondre aux revendications légitimes des citoyens alimentent la colère. Si le régime espérait juguler toute révolte par l’intimidation, ces mouvements de contestation montrent que la population refuse de céder.

L’impact sur la population : entre résignation et résistance

Ce climat de tension permanent pèse lourdement sur la population algérienne. Depuis des décennies, les Algérois vivent sous la surveillance omniprésente des forces de l’ordre, une situation qui alimente un sentiment de frustration et d’injustice. Chaque démonstration de force, comme celle du 4 février, renforce l’idée que le régime considère les citoyens non pas comme des acteurs politiques légitimes, mais comme des sujets à contrôler.

Cependant, malgré la répression, la résistance persiste. Les mouvements de contestation, bien que durement réprimés, n’ont jamais complètement disparu. Les Algériens continuent de réclamer des réformes démocratiques, un État de droit et la fin de la mainmise militaire sur les institutions. Avec la perspective d’un Hirak 2.0, la mobilisation pourrait atteindre un nouveau seuil, rassemblant non seulement les militants politiques mais aussi les professionnels de santé et les étudiants, unis par un rejet commun de l’injustice et de la gouvernance autoritaire.

Un régime aux abois

Ce 4 février 2025, Alger fut sous état de siège, mais en vérité, c’est toute l’Algérie qui vit sous cet état de siège depuis le coup de force contre le GPRA. Depuis 1962, le pays n’a jamais réellement connu la souveraineté populaire, confisquée par une caste militaire qui, par la force, a imposé sa loi et sa vision du pouvoir. Chaque soulèvement, chaque mouvement de contestation n’est qu’un chapitre de plus dans cette longue lutte entre un peuple en quête de liberté et un régime qui ne survit que par la coercition.

Mais l’histoire est implacable : aucun régime ne peut éternellement gouverner par la peur et la répression. Les soubresauts actuels, marqués par les grèves des élèves et des médecins, les mobilisations sporadiques et le rejet croissant du pouvoir en place, annoncent un changement inévitable. Le 16 février, date hautement symbolique, pourrait être l’embrasement tant redouté par la junte au pouvoir.

L’Algérie n’est pas condamnée à l’oppression perpétuelle. Son peuple, fier et résilient, a toujours su se relever et lutter pour ses droits. La fin de cette nuit sécuritaire viendra, comme elle est venue pour d’autres régimes autoritaires. L’histoire appartient à ceux qui refusent la soumission, et les Algériens ont prouvé qu’ils ne renonceront jamais à leur dignité et à leur liberté.

Khaled Boulaziz