Les dix jours de fureur : La révolution Syrienne

Au milieu du chaos tourbillonnant du temps, l’histoire a déployé son étendard avec une hâte tumultueuse, compressant en dix jours fatidiques des événements qui, autrement, auraient pu s’étendre sur des générations. Dans cette brève tranche de temps, nous percevons un drame à la fois éphémère et éternel — un voyage en train, la chute d’une cité, et l’effondrement de régimes porteurs du poids des empires. L’histoire commence avec le cœur enflammé d’une révolution : qui pourrait oublier l’audacieux voyage de Lénine, transporté depuis le calme suisse de Zurich jusqu’à la fermentation incandescente de Petrograd ? Ce voyage, orchestré par la stratégie allemande pour affaiblir la Russie pendant la Grande Guerre, a libéré des conséquences dépassant les calculs de ses architectes. De même, en Syrie, l’avancée rapide des forces d’opposition d’Alep à Damas en seulement douze jours évoque ce crescendo historique, comme si les destins eux-mêmes tissaient des parallèles.

Les rapports et analyses ont proliféré en réponse à cette brièveté choquante. CNN, avec son regard incisif, se demandait : « Comment le régime Assad est-il tombé en 10 jours après 13 ans de ténacité ? » Al Jazeera retraçait « L’histoire complète de la chute du régime Assad en 12 jours. » Chacun tentait de déchiffrer l’énigme d’un régime longtemps imperméable au changement, renversé comme par une main invisible. Ces événements évoquèrent le souvenir du récit immortel de John Reed sur la révolution, Dix jours qui ébranlèrent le monde, dont le titre trouve désormais un écho dans le bouleversement syrien. Un écrivain jordanien, depuis sa résidence en France, offrit sa propre réflexion méditative, intitulant son article « Syrie : Dix jours qui ébranlèrent le monde », rattachant ainsi le cataclysme syrien aux secousses historiques de 1917.

Considérons le train clos de Lénine. N’était-ce pas un présage, un microcosme des chemins voilés et précaires de l’histoire ? Les machinations allemandes, destinées à séparer la Russie de la cause alliée, n’ont pas simplement offert un répit militaire mais ont déchaîné une tempête bolchevique qui a refaçonné le monde. Le traité de Brest-Litovsk, les confiscations de terres, les nationalisations industrielles et l’appel vibrant à la révolution prolétarienne mondiale — tout cela est né de cette audacieuse manœuvre. Pourtant, cette même tempête a englouti ses architectes, les révolutionnaires de Lénine forgeant un empire de fer, bientôt figé dans la tyrannie sous l’emprise inflexible de Staline.

Et qu’en est-il de la Syrie ? Un pays plus petit, plus faible, divisé et menacé, mais impliqué dans des conflits tout aussi profonds. Son effondrement rapide contraste avec l’agonie prolongée de l’Empire russe. Les comparaisons, bien que manifestes, mettent également en lumière des différences profondes. Les révolutionnaires bolcheviques maniaient le marteau et la faucille de l’idéologie, leurs objectifs fixés sur le démantèlement du capitalisme. L’opposition syrienne, quant à elle, reste une mosaïque de factions, ses motivations diverses, son unité fragile, et son avenir incertain. Là où la tempête de Lénine balayait les couloirs du pouvoir avec une précision idéologique, le bouleversement syrien révèle une tapisserie plus fragmentée, mais tout aussi captivante dans ses implications.

C’est ici qu’intervient la méditation profonde : le spectre évolutif de l’idéologie. Alors que le marxisme dominait autrefois les anciens empires européens comme une menace existentielle, aujourd’hui ce sont les mouvements islamiques qui occupent le rang de menace dans les calculs mondiaux. Pourtant, l’alliance du Parti des travailleurs du Kurdistan — un vestige marxiste — avec les États-Unis dans la lutte contre l’État islamique souligne les paradoxes des alignements modernes. Les champs de bataille idéologiques d’autrefois sont remplacés par des coalitions étranges, où les legs de Marx et les principes de Khaldoun convergent de manière à la fois illuminante et obscure.

Ah, Khaldoun ! Le sage arabe dont la Muqaddima capture les cycles de l’histoire dans leur grandeur et leur inéluctabilité. Muhammad Abed al-Jabri, réfléchissant sur ces cycles, voyait en Ibn Khaldoun un précurseur de Marx, identifiant dans son analyse de l’asabiyya — la solidarité d’une société — un modèle pour comprendre à la fois la croissance et le déclin. Marx, à son tour, démêlait les contradictions du capitalisme industriel. Pourtant, là où Marx envisageait la lutte des classes comme moteur de l’histoire, Khaldoun percevait une force plus subtile et cyclique : l’essor et le déclin dynastique, érodés par la complaisance et l’excès.

Le penseur turc Hikmet Kıvılcımlı, lui aussi, a tissé Khaldoun dans la théorie marxiste. Ses études éclairaient les incursions bédouines qui ont renversé des civilisations, les comparant aux révolutions prolétariennes. Pour Kıvılcımlı, l’avènement de l’islam portait les caractéristiques d’une révolution historique — ses premières communautés, liées par une solidarité primitive, dégénérant à mesure que le pouvoir se centralisait parmi les élites. Quelle ironie poignante que cette lentille, forgée pour interpréter l’Antiquité, s’avère incisive lorsqu’elle est tournée vers les convulsions syriennes et l’effondrement soviétique.

Et pourtant, les destins jouent leurs cruels tours. La nationalisation des moyens de production par Lénine, remède aux contradictions du capitalisme, a évolué en une nationalisation de la vie elle-même, tandis que la dictature se cristallisait en autocratie. L’Union soviétique, censée incarner l’utopie marxiste, s’est effondrée sous le poids de ses propres contradictions. La Syrie, en revanche, n’est pas tombée sous l’effet d’une rigidité idéologique, mais d’implosions de guerre civile et d’intrusions de puissances étrangères.

Ainsi, le regard de l’historien se retourne sur lui-même. Dix jours, qu’ils soient d’octobre en Russie ou de décembre en Syrie, semblent encapsuler l’éternité, capturant dans leur brièveté les arcs puissants de l’histoire. Et nous voilà appelés à réfléchir, dans nos méditations baroques : la révolution n’est-elle pas une symphonie de paradoxes, où la création et la destruction, l’idéalisme et la tyrannie, l’unité et la désintégration se rejoignent dans l’éphémère moment où l’histoire pivote et où les empires s’effondrent ?

Khaled Boulaziz