Algérie : La farce franco-française et les tromperies de l’Algérie Vichyste d’Attali

La vérité est rarement pure, et jamais simple.

Oscar Wilde

Le 1er novembre, reste un terrain fertile pour les théoriciens de la victimologie et leurs élucubrations , et autres mariniers des eaux troubles – et, naturellement, pour leurs affidés. En cette date où la mémoire des opprimés devrait s’élever comme une plainte sourde, voici qu’intervient Jacques Attali (1), brandissant ses visions feutrées des puissants. Sous le vernis de la sagesse et de l’élitisme, il dépeint encore une fresque arrangée où les dominants, les maîtres de la finance et du discours, trônent au sommet, bâtisseurs de vérités altérées.

Les mots d’Attali, comme les volutes d’un encensoir, embaument l’air, dissimulant sous des couches de rhétorique raffinée la brutalité de l’histoire qu’il prétend raconter. Ce sont là des paroles déguisées, offertes au monde dans l’opacité et la complicité de ceux qui contrôlent le récit et ses bénéfices. Le discours, comme une tragédie baroque, expose plus qu’il ne cache l’étrange connivence entre les mariniers des eaux troubles et l’indifférence pour la mémoire des opprimés.

Dans L’année des dupes: Alger 1943, Jacques Attali présente une vision contestée de l’Algérie sous le régime de Vichy, suggérant que les politiques anti-juives françaises trouvaient un large soutien parmi les Algériens eux-mêmes. Cette interprétation, qui cadre la colonie comme complice des mesures discriminatoires de Vichy, déforme les réalités historiques et reflète une perspective eurocentrique qui écarte l’agence algérienne. Le rôle de l’Algérie dans les politiques racistes de Vichy était largement celui d’une conformité imposée sous contrôle colonial, les Algériens étant soit non impliqués, soit activement opposés aux pratiques oppressives du régime. Les politiques discriminatoires de cette époque étaient, en réalité, une question franco-française se déroulant sur une terre colonisée, où les Algériens manquaient à la fois de représentation et d’autonomie.

Le récit d’Attali peut résonner avec un public moderne en cadrant la société algérienne à travers une lentille morale axée sur la discrimination, un sujet pertinent et sensible aujourd’hui. Cependant, sa représentation manque de la nuance essentielle nécessaire pour contextualiser les dynamiques de pouvoir colonial et leur impact sur la société algérienne. En caractérisant les politiques de Vichy comme un reflet de l’« esprit » algérien, l’approche d’Attali induit en erreur les lecteurs, réduisant le pays à une scène passive pour les conflits internes de la France. Cette déformation non seulement fausse la vérité historique mais diminue également la lutte de longue date des Algériens pour l’autonomie et la dignité sous la domination coloniale.

Le récit d’Attali faiblit en confondant les politiques de Vichy avec le sentiment algérien. En réalité, les lois anti-juives ont été conçues et mises en œuvre par des administrateurs coloniaux sous les ordres de Vichy, et non par des Algériens. Les fonctionnaires coloniaux—loyaux à la France, et non au peuple algérien—ont importé et appliqué ces lois dans le cadre d’un système colonial qui ignorait systématiquement les voix algériennes. Impliquer la complicité algérienne dans ces actes fait abstraction du fait que les Algériens, opprimés et systématiquement privés de leurs droits, n’avaient aucune autorité sur la gouvernance qui leur était imposée. Ces politiques racistes étaient distinctement françaises et imposées à l’Algérie, rendant trompeur d’impliquer les Algériens dans ce cadre.

Le décret Crémieux, qui a accordé la citoyenneté française exclusivement aux Juifs algériens tout en excluant les Algériens musulmans, n’était pas simplement une politique de division raciale arbitraire mais une stratégie coloniale calculée. En récompensant sélectivement la population juive, la France visait à reconnaître et à rembourser leur soutien lors des premières étapes de la conquête coloniale, au cours desquelles certains segments de la communauté juive s’étaient alignés avec les autorités françaises. Ce décret était donc un outil colonial conçu pour favoriser la loyauté et approfondir les divisions au sein de la société algérienne, créant un fossé entre les communautés juive et musulmane qui servait à renforcer le contrôle de la France. En cadrant cette citoyenneté sélective comme une progression naturelle de l’inclusion sociétale, l’administration française a obscurci son véritable objectif : maintenir une faction loyale au sein de l’Algérie qui pourrait aider à stabiliser et pacifier la colonie sous domination française.

Cependant, la représentation qu’Attali fait du décret Crémieux ne prend pas en compte ce contexte, suggérant plutôt que les Algériens portaient la responsabilité des divisions discriminatoires qui ont suivi. Cette interprétation ignore l’ampleur à laquelle ces divisions ont été façonnées par les autorités coloniales pour affaiblir la résistance locale et faciliter la domination. Le décret, loin d’être un reflet du sentiment algérien, a servi de moyen pour consolider le pouvoir colonial en créant des fractures internes au sein de la société algérienne.

Le récit d’Attali suggère également que les Algériens ont participé activement à l’application des politiques anti-juives de Vichy, une caractérisation qui déforme gravement la réalité historique. Sous le régime colonial, les Algériens n’avaient aucun rôle dans la gouvernance, encore moins dans l’application des lois raciales de Vichy. Les fonctionnaires français, nommés pour défendre les intérêts français, étaient responsables de la mise en œuvre de ces mesures discriminatoires. Pour les Algériens, l’ère de Vichy représentait une répression intensifiée, alors que les autorités coloniales continuaient à leur retirer leurs droits, leurs terres et leur autonomie. Les caractériser comme des collaborateurs déplace injustement la responsabilité des véritables architectes de cette oppression.

Un élément particulièrement problématique dans l’argument d’Attali est sa prétention selon laquelle le débarquement allié en Afrique du Nord en 1943 a marqué une forme de “libération” pour l’Algérie. Bien que l’opération Torch ait démantelé le régime de Vichy en Afrique du Nord, elle n’a pas apporté de liberté significative aux Algériens. La région a simplement échangé un maître colonial pour un autre. Bien que les Juifs algériens aient reçu des réparations pour leurs souffrances, l’Algérie est restée fermement sous contrôle français, et les Algériens ont continué à faire face à l’oppression coloniale jusqu’à ce que le mouvement d’indépendance prenne de l’ampleur plus d’une décennie plus tard. La représentation d’Attali du débarquement allié comme libérateur obscurcit la véritable lutte des Algériens pour l’autodétermination et induit en erreur les lecteurs en les amenant à assimiler la fin des politiques de Vichy à la liberté pour la population colonisée.

La représentation d’Attali de l’Algérie comme complice des crimes de Vichy ignore les dynamiques complexes de la domination coloniale, où les Algériens étaient subjugés plutôt que participants à la gouvernance. Son récit centre les luttes historiques de la France sur le sol algérien, réduisant l’Algérie à un arrière-plan passif pour une histoire de culpabilité et de rédemption française. Cette approche déforme la vérité de l’histoire algérienne et perpétue l’état d’esprit colonial qu’elle prétend critiquer. La véritable histoire de l’Algérie sous Vichy est celle de la résilience face à l’oppression, et non de la collaboration. Effacer cette résilience et la reformuler comme une complicité perpétue une vision eurocentrique qui marginalise l’agence algérienne.

L’histoire de l’Algérie d’occupation, de discrimination et de libération éventuelle n’est pas une narration française ; elle appartient au peuple algérien. Mal représenter cette histoire risque de miner leur héritage de lutte pour l’autodétermination et déforme la réalité de l’oppression coloniale. Reconnaître le passé de l’Algérie comme un témoignage de résistance contre la domination étrangère honore la complexité et la dignité d’un peuple qui a lutté pour récupérer sa propre histoire.

Khaled Boulaziz

  1. https://www.youtube.com/watch?v=Ebv0mTv9OZo

(*) Ode à la pensée rebelle, dédiée à un compagnon de l’esprit,
qui reconnaîtra dans ces mots le reflet de notre commun combat.