Gaza : Benyamin Nétanyahou annonce qu’Israël a largué « 153 tonnes de bombes » dans la journée de dimanche, malgré le cessez-le-feu.
« Qui y a-t-il de honteux d’aimer son pays et de mourir pour une vie décente de ses citoyens ? » La question claque comme une gifle au visage de ceux qui, depuis leurs bureaux climatisés de Paris ou leurs rédactions saturées de moraline, se permettent de disséquer la résistance palestinienne comme on observe un phénomène folklorique, un rituel archaïque dans un camp de réfugiés. À Balata, dit Le Monde, la « popularité du Hamas reste intacte ». Popularité : le mot est déjà une trahison. Comme s’il s’agissait d’un sondage BVA sur la réforme des retraites. Comme si aimer ceux qui résistent était une humeur passagère, un caprice de quartier, une réaction pulsionnelle à la misère, et non l’expression simple, limpide, organique, d’un peuple qui refuse d’être réduit à l’état d’objet administratif dans une colonie à ciel ouvert.
Ce que la presse occidentale refuse de nommer, c’est que le Palestinien n’est pas un animal politique exotique, doté d’un folklore de survie. Il est un sujet historique, et sa résistance n’est pas une fluctuation de « prestige » comme l’écrit le reporter, mais l’affirmation nue d’une souveraineté confisquée. Que les rédactions parlent de « prestige » ou de « popularité » du Hamas dans les ruelles étroites du camp de Balata n’est pas anodin : cela permet de maintenir le Palestinien dans le registre de la psychologie des foules, jamais dans celui de la légitimité nationale. On ne dit pas : « les Français ont trouvé du prestige à De Gaulle pendant l’Occupation » ; on dit : « un peuple s’est levé ». Pourquoi, alors, ce refus obstiné de dire : « un peuple palestinien refuse l’humiliation » ? Parce que cela obligerait à reconnaître que ce peuple n’est pas une victime passive, mais un acteur politique adulte, doté d’un droit à la dignité — donc à la lutte.
Ce qui dérange profondément dans l’œil occidental, c’est ce moment précis où le Palestinien ne quémande plus la compassion, mais revendique la confrontation. On peut pleurer sur Gaza tant que Gaza se tait et agonise. Mais dès que Gaza tire, le vocabulaire change : radicalisation, islamisme, fanatisme, prestige des armes. Dans les camps de Cisjordanie, nous dit-on, certains « savourent » la résistance, comme si l’attente de dignité était un goût coupable, un plaisir malsain. Savourer quoi ? Le droit de ne pas être livré pieds et poings liés à un occupant bardé de tanks et de drones ? Le droit de voir, ne serait-ce qu’un instant, l’occupant reculer, même symboliquement ? Alors oui, à Balata ou ailleurs, des prisonniers sont sortis. Oui, des mères ont vu leurs fils franchir les portes des geôles israéliennes. Et il faudrait, au nom de la bienséance humanitaire, feindre la neutralité ?
« Qui y a-t-il de honteux d’aimer son pays et de mourir pour une vie décente de ses citoyens ? » La question n’est pas une provocation, elle est la base de toute nation. Les États occidentaux qui observent la Palestine comme un laboratoire de sociologie militaire sont pourtant les premiers à célébrer leurs propres martyrs. On enseigne dans les écoles françaises que « mourir pour la patrie est le destin le plus beau », on fleurit les tombes des maquisards, on érige des statues à ceux qui n’ont pas supporté la botte allemande. Mais lorsqu’un Palestinien refuse la botte israélienne, il devient un extrémiste, un nostalgique du djihad, un chiffre dans une colonne de statistiques insurgées. L’Occident aime la résistance, mais à condition qu’elle soit terminée depuis soixante-dix ans, transformée en musée avec audioguide et reproduction plastifiée de parachutistes héroïques.
On nous dit que le Hamas et le Fatah se saluent à Balata, comme si cette scène devait choquer la conscience universelle. Mais qu’y a-t-il de plus naturel que de voir deux courants politiques d’un peuple colonisé se rejoindre dans un instant de lucidité : l’ennemi n’est pas celui de la rue d’en face, l’ennemi est celui qui encercle, détruit, affame, emprisonne, colonise ? Le Monde décrit cette scène avec une surprise quasi zoologique, comme si les Palestiniens étaient incapables d’intelligence stratégique, seulement mus par la ferveur primitive. Il faut vraiment n’avoir jamais respiré l’air vicié d’un camp de réfugiés pour croire que la résistance est une posture idéologique. Elle est une respiration : l’air ou le genou sur la gorge. Il n’y a pas de troisième voie, sauf pour les rédactions qui vivent très bien à distance, dans l’abstraction confortable des éditoriaux modérés.
Ce qui trouble tant Le Monde, ce n’est pas que le Hamas soit « populaire », mais que l’ordre colonial israélien ne soit pas aimé. L’impensable, pour la presse habituée à parler d’« affrontements » entre avions de chasse et pierres, c’est que les Palestiniens, malgré les camps, les drones, les murs, ont conservé ce que l’Occident pensait leur avoir retiré : la certitude tranquille qu’ils ont raison. Et c’est cette certitude que les reporters cherchent à dissoudre dans un langage tiède : prestige, popularité, rivalités internes. Autant de mots qui, en apparence neutres, relèvent en réalité d’une entreprise de dépolitisation. Faire de la résistance un phénomène d’opinion, c’est déjà commencer à l’enterrer.
Alors, encore une fois : qui y a-t-il de honteux ? Honteux serait plutôt de s’habituer à vivre sans horizon, de cautionner le silence des chancelleries, de répéter que « la situation est complexe » pendant que des enfants apprennent à courir sous les drones avant même de savoir lire. Honteux serait de traiter le droit à la dignité comme une variable médiatique, oscillant au rythme des cessez-le-feu. Honteux serait de ne voir dans Balata qu’un décor de reportage, et non une matrice de nation. Le Palestinien n’est pas un sujet d’étude : il est le rappel violent que la liberté n’est pas un privilège administratif accordé par un ministère des affaires étrangères, mais une conquête nue, arrachée dans le bruit des décombres et le silence des rédactions.
Khaled Boulaziz