L’Émir Abdelkader, victime posthume du général génocidaire Paul Azan

Il faut en finir avec les momies de papier de la colonisation française, ces généraux à plume d’acier qui ont assassiné deux fois les peuples qu’ils prétendaient civiliser : d’abord par la baïonnette, ensuite par le mensonge. Et parmi ces nécromanciens de l’Empire, nul n’est plus répugnant que Paul Azan, général de carton, biographe de la honte, missionnaire du mensonge colonial.

En 1930, pour célébrer le centenaire du viol de l’Algérie, Azan publiait son torchon à dorures : Les grands soldats de l’Algérie. Sous prétexte d’histoire militaire, il y livrait une véritable messe noire du colonialisme, où la conquête devenait « pacification », les razzias devenaient « manœuvres d’ordre », et l’Émir Abdelkader, ce héros sublime, devenait selon lui « un serviteur fidèle de la France ». Cette phrase seule devrait suffire à lui valoir l’éternelle infamie.

Mais le crime d’Azan n’est pas seulement d’avoir menti : c’est d’avoir travesti l’honneur en servitude. Là où le capitaine J. Pichon, officier lettré mais lucide, voyait « le héros musulman dans son rôle religieux, politique et militaire, pour ne le quitter qu’au tombeau », Azan, lui, installait l’imposture : il faisait du tombeau d’Abdelkader le vestibule de la gloire française. Pichon décrivait ; Azan violait. L’un écrivait pour comprendre ; l’autre pour soumettre. L’un saluait la dignité du vaincu ; l’autre fabriquait un esclave posthume pour justifier la chaîne.

Car Azan n’était pas un historien : il était un procureur de la domination. Sous son képi d’érudit se cachait un homme de caserne, un technicien du mensonge, un doctrinaire de l’humiliation. En Algérie, au Maroc, en Tunisie, il fit ce que font tous les soldats d’Empire : écraser d’abord, écrire ensuite. Il appela cela « pacification ». Les morts, eux, n’avaient pas le loisir d’écrire. Il transforma les villages brûlés en exemples moraux, les insurrections en leçons de morale, les massacres en statistiques pédagogiques.

Et ce criminel en uniforme, couvert d’honneurs et d’encens maçonniques, fut aussi l’un des apôtres du compas colonial. Franc-maçon de premier ordre en Tunisie, il présidait à la liturgie hypocrite de la fraternité impériale : des loges où l’on parlait d’universalisme entre deux ordres d’exécution, où l’on célébrait l’homme tout en niant l’indigène. Azan, là encore, excellait à l’art de la duplicité : prêcher la lumière et pratiquer la soumission.

Ce général fut un triptyque de la servitude :
– le sabre, pour imposer la peur ;
– la plume, pour justifier le crime ;
– le compas, pour sanctifier la domination.

Il est le chaînon parfait entre le missionnaire et le tortionnaire, le bureaucrate de la mort qui signe ses rapports avec des citations latines. Et que l’on sache : ses livres n’ont pas disparu ; ils rampent encore dans certaines bibliothèques officielles, où des lecteurs dociles, des prédicateurs à la cervelle d’âne, les récitent comme on récite un psaume colonial. Ces ignares, ces ventriloques du mensonge, reprennent la phrase infâme — « serviteur fidèle de la France » — comme si elle venait du Coran de l’histoire.

Mais la vérité, la vraie, est que Paul Azan fut un criminel moral, un falsificateur historique, un adorateur de l’ordre colonial jusqu’à la déraison. Sous son vernis républicain, il portait l’âme fanatique des conquérants chrétiens. Il croyait sauver les âmes en les asservissant, purifier les terres en les bombardant, instruire les peuples en les affamant.

Et face à lui, dans le miroir des siècles, se tient J. Pichon, modeste, sobre, humain, refusant de travestir la douleur du vaincu. Entre les deux hommes, il y a la distance qui sépare l’historien du bourreau, la lucidité du mensonge, la vérité de l’infamie.

Que les universités qui enseignent encore Azan soient maudites ! Qu’on brûle ses ouvrages dans la lumière de midi, non pour censurer, mais pour purifier. Qu’on rende à l’Émir Abdelkader son visage réel : celui d’un homme libre, d’un chef religieux et politique qui ne se soumit jamais, ni à la France ni à la falsification.

Paul Azan fut de ces esprits qui ont assassiné la vérité avec méthode.
Et le plus ignoble, c’est qu’il écrivit bien.

Khaled Boulaziz

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